J’ai eu l’honneur et le plaisir de travailler avec feu M. Hédi Bouchamaoui depuis 1978 où j’étais parmi les premiers techniciens qui avaient travaillé dans les grands chantiers, élaborés en Libye, dans le domaine agricole et l’aménagement des sols. Ces chantiers venaient suite à l’obtention de trois grands contrats repartis sur plusieurs départements (Tripoli, Mosrata, Syrte, Gheriane,…).
C’était la première entreprise tunisienne qui avait obtenu des marchés d’une aussi grande envergure à l’échelle internationale : l’effectif avait atteint les 8000 employés et cadres venant de toute la Tunisie (hormis quelques dizaines d’européens étrangers spécialisés pour leur plus grande part en mécanique et en agriculture).
Les activités essentielles étaient réparties dans les domaines suivants :
– La conservation de l’eau et du sol (C.E.S.) : pour la rétention de l’eau pluviale.
– La construction des routes.
– Le pâturage : création de pépinières d’une capacité de plus de 25 millions de plantes chacune, ce qui donne une capacité de plantation de plus de 100 millions de plantes (Acacia, cactus, ATriplex, …).
Pour accomplir cela, M. Hédi Bouchamaoui avait mis au point toute une stratégie basée sur la formation, le recours aux compétences les plus confirmées sur le marché et les technologies de pointe. Véritable coach formateur, il croyait profondément dans la reconversion professionnelle des membres de son équipe. Il était animé d’une passion sans faille pour leur développement personnel et l’accompagnement avec la transmission de leurs savoirs.
C’est ainsi qu’il avait fait appel à des ingénieurs européens des meilleures « boîtes » pour former les jeunes techniciens tunisiens fraîchement sortis des centres de formation professionnelles, des instituts supérieurs de technologies et des écoles d’ingénieurs afin de leur procurer une formation pratique basée sur des assises solides. Je me rappelle encore du recrutement de promotions entières de nouveaux diplômés des filières de mécanique, électricité, de régulation et de bien d’autres issus des centres de formation professionnelles. Il faut le souligner, cependant, qu’il avait une prédilection pour les nouveaux diplômés et ce dans le but de leur inculquer une formation appropriée dans le secteur de leur activité et les exigences de rigueur et de spécialisation profonde requises.
Par ailleurs, il était l’un des premiers entrepreneurs tunisiens à avoir créé des écoles de formation de soudure et de tuyauterie et de conducteurs d’engins (pelle mécanique, scraper, Grove, bulldozers, side-boom …).
Il prônait toujours de mettre l’accent sur des qualités telles que :
 Un bon esprit d’analyse et de synthèse.
 Une aptitude à communiquer et à s’affirmer.
 Une capacité d’adaptation.
 Une écoute active développée.
 Le travail en équipe
 L’envie d’aider les autres et de transmettre son savoir.
C’est surtout cette dernière qualité qui avait beaucoup de sens à ses yeux et c’est dire combien sa vertu de croire aux jeunes était importante ainsi que leur capacité de servir de relai, à leur tour, aux générations futures surtout celles qui manquent de moyens. Non seulement il faisait confiance aux jeunes, il leur déléguait volontiers le pouvoir car, à ses yeux, plus l’entreprise se développe et plus les responsabilités et les tâches de l’employeur augmentent : par conséquent, la délégation de pouvoir est une réponse managériale intéressante parce qu’elle permet de soulager le chef d’entreprise. Autre qualité caractérisant M. Hédi Bouchamaoui, c’est la dimension humaine exceptionnelle qui le caractérisait et les rapports de proximité qu’il entretenait avec ses collaborateurs.
Les chantiers disposaient, par ailleurs, du meilleur matériel de transport des ouvriers, de terrassement, de transport des plantes, d’arrosage et qui étaient conçus spécifiquement aux conditions naturelles souvent très difficiles (dunes de sable, versants accentués, …). Ces chantiers disposaient de campements ultramodernes équipés de tout le confort nécessaire. C’étaient des structures préfabriquées ayant la forme de bungalows répartis dans les divers chantiers. Ces derniers abritaient de 1000 à 1200 ouvriers et techniciens totalement pris en charge (cuisines modernes, boulangeries, laveries, etc.). Le ravitaillement de ces chantiers se faisait par camions frigorifiques et les besoins en nourriture étaient estimés par individu. Quant au transport des ouvriers et du personnel, il était assuré par des bus conforts qui faisaient la navette entre les différentes villes qui abritaient les divers chantiers et la capitale Tripoli pour ceux qui désiraient rentrer et même pour les acheminer en Tunisie.
Il est à noter, par ailleurs, que l’un des points forts qui caractérisaient ces chantiers, c’était l’entretien préventif des différents engins et leur maintenance et qui concernaient aussi bien les camions que les semi-remorques, les portes-chars, les engins de terrassement, les bus de transport ainsi que les voitures. Des consignes particulières de graissage, nettoyage et de lubrification étaient recommandées dans un manuel d’entretien propre à chaque engin remis aux responsables de ce secteur. Cela a nécessité l’élaboration d’un programme d’intervention pour chaque machine et pour chaque cycle (journalier, hebdomadaire, mensuel, trimestriel, semestriel…). Ce programme était spécialement conçu par M. Hédi Bouchamaoui lui-même. D’ailleurs, à chaque fois qu’une difficulté surgissait, il nous rendait visite spécialement pour la résoudre.
Concernant l’organisation du travail sur les chantiers, elle se faisait toujours selon une préparation collective selon des objectifs préétablis. Le suivi de la production est géré minutieusement par des plans de récolement. Les plans de plantation se font selon des cartes et des descriptifs prédéfinis. Chaque plante possède sa propre traçabilité de façon à faciliter le métré contradictoire avec le maître d’ouvrage (N° de la plante, N° de la ligne, N° de la cuvette, N° de la zone, etc.).
Pour conclure, il est quasi impossible de résumer en quelques lignes une relation de plusieurs décennies surtout lorsque cette relation s’est incessamment enrichie des compétences managériales exceptionnelles d’un chef d’entreprise doublé d’un leader imbu de valeurs humaines exceptionnelles qui avait une vision globale des forces et des compétences de ses collaborateurs et de leur potentiel d’évolution et où le climat positif prévalait et l’esprit d’équipe et les relations dynamiques régnaient.